Antibes historique

Antibes, la ville d'en-face ?

On ne peut parler de l’histoire d’Antibes sans se poser la question de l’origine de son nom. On a coutume de dire qu’Antipolis, mot grec, signifie « la ville d’en-face ». Mais, en face de quoi, ou peut-être, en face de qui ? Et tout compte fait, est-ce la bonne façon de traduire ce nom ? 
Il n'est pas possible de répondre à ces questions si l’on n’a pas quelques notions de l’histoire ancienne de la région. Pendant longtemps on a affirmé que la ville d’Antipolis avait été fondée par les Phocéens de Massalia. Or il semble logique de penser qu'un premier comptoir commercial a été fondée là aux environs du VIe siècle avant notre ère par les Phocéens venant de Phocée qui créèrent des comptoirs tout au long de la côte méditerranéenne de Monoïkos (Monaco) à Emporion (Ampurias).

Circulation des courants en Méditerranée occidentale

L’évaporation de la Méditerranée, mer chaude, va provoquer l’apparition d’un courant d’eau froide et peu salée venant de l’Atlantique et passant par le détroit de Gibraltar. Ce courant va longer la côte d’Afrique du nord, puis une de ses branches va se diriger vers la Sicile, remonter le long de la côte italienne et va rejoindre un courant qui remonte le long de la côte ouest de la Corse pour se diriger vers la côte provençale.

Phocée

La ville de Phocée aurait été fondée au XIe siècle avant notre ère, sous la tutelle athénienne, par des émigrants venant de la ville de Phokis en Grèce centrale, sur un territoire donné par les gens de Cymé (Cumes), une importante ville de Lydie. L’avantage du site, était qu’il offrait, de par la configuration de son littoral, des ports naturels particulièrement sûrs. De même, la proximité du relief, lui offrait de bonnes possibilités de défense. L’inconvénient du site, était que le territoire d’implantation situé entre la mer et les montagnes était exigu et n’offrait guère de place pour qu’une agriculture puisse se développer. C’est en partie pour cela que les Phocéens se tournèrent très vite vers le commerce, et qu’ils créèrent une flotte nombreuse et efficace s’appuyant sur des navires à cinquante rames nommés pentécontores qui leur permettait de s’adonner à une pratique courante et presque honorable à l’époque : la piraterie.  
Grâce à cette flotte, à leur attrait pour le commerce et attirés par le grand large comme tous les marins, les Phocéens explorèrent les rivages de la Méditerranée occidentale, jusqu’aux colonnes d’Hercule, et même au-delà (Voyage du Massaliote Pythéas). C’est ainsi qu’ils fondèrent, aux alentours de 600 avant notre ère, sur des terres appartenant aux Ligures Ségobriges, la ville de Massalia sur un site qui leur rappelait leur ville-mère (Légende de Gyptis et Protis). 
Cette colonie prospéra rapidement. La route maritime qui venait de Grèce et unissait Phocée à sa colonie Massalia, passait par le détroit de Messine, remontait la côte italique jusqu’à Cumes (ville située à 12 km à l’ouest de Naples et connue pour être la plus ancienne cité grecque d’Italie), puis après une brève traversée, elle longeait la côte orientale de la Corse (Cyrnos), puis allait vers le nord afin d’atteindre le rivage continental qu’ils suivaient ensuite jusqu’au Lacydon, le vieux port de Marseille d’aujourd’hui.     

Désireux de rendre plus sûre leur navigation, ils créèrent, vers 565 avant notre ère, un comptoir sur la côte orientale de la Corse qu’ils nommèrent Alalia, aujourd’hui Aleria, ceci afin de permettre aux bateaux venant de Phocée, de faire relâche avant d’affronter les 180 km séparant la Corse du continent. 
Lorsque les navires s’élançaient du cap Corse pour aller vers le nord, la voie naturelle, que leur offraient les courants et les vents, les amenait directement sur un repère géographique important, le Cap Antion (Antion Kaurion, c’est-à-dire la terre d’en-face), que nous appelons aujourd’hui le Cap d’Antibes. Cette voie maritime était très fréquentée, ce qui explique que l’on ait trouvé, au large d’Antibes, ainsi que sur le rocher, des poteries grecques datées du VIe siècle av. J.-C. Il est donc très probable que depuis longtemps les marins Phocéens, et peut-être les Rhodiens avant eux, avaient établi des contacts commerciaux avec les tribus ligures qui occupaient la côte.

Antipolis

Nous pouvons maintenant évoquer plusieurs hypothèses à l’origine du nom Antipolis : 
→ La première, que l’on balayera rapidement, concerne la situation d’Antibes en face de Nice. Cette hypothèse qui avait tout pour séduire se heurte vite à la réalité historique puisque Nikaïa (Nice) ne fut fondée qu’en 250 av. J.-C., C’est-à-dire près de deux siècles après Antibes.
→ Deuxième hypothèse : Lorsque les grecs arrivèrent dans nos parages, cette terre était habitée par les tribus dites ligures connues sous le nom de Décéates et Oxybiens (voir Lauvert). Comme nous l’avons dit au début, les Grecs ne s’installèrent pas, mais devaient seulement s’arrêter afin de faire du commerce avec les autochtones. Ceux-ci occupaient les points élevés, faciles à défendre : le rocher d’Antibes, peut-être le plateau de la Garoupe, la colline des Encourdoules plus tard (IIe siècle av. J.-C.). Lorsque les Grecs de Massalia décidèrent de s’installer sur le sol antibois, ils le firent par opposition aux habitants primitifs. Ils installèrent leur ville première en face des oppidums ligures, mais probablement aussi en opposition aux tribus qui les occupaient, donnant ainsi son nom à la ville faisant face aux tribus ligures.
→ Troisième hypothèse, la plus classique : Antion serait le nom donné par les grecs au cap d’Antibes actuel, qui était le lieu où aboutissait de façon naturelle la voie maritime venant d’Alalia (voir schéma ci-dessus) et servait de repère. Les Phocéens auraient ainsi établi un comptoir à cet endroit, qui aurait pris le nom d’Antion-polis, la ville du cap Antion. Ceci deviendra plus tard Antipolis, puis Antipol, Antibol, Antiboul, Antibe et enfin Antibes.
Parmi ces hypothèses, il est difficile aujourd’hui de choisir avec certitude en raison de l’absence de documents explicites. Mais l’histoire de la ville nous démontrera qu’Antibes, depuis que Louis XI hérita de la Provence, fut toujours la ville qui, de par son statut de « Porte de la France », était placée là pour s’opposer aux ennemis, et elle remplit ce rôle avec énergie et courage, mais souvent au prix de grandes souffrances.

Aujourd’hui, Antibes n’est plus la ville qui défend, la ville qui s’oppose, mais la ville qui accueille. Notre cité s’est constituée à partir de souches diverses. Là se sont mélangées les cultures grecque, ligure, celte et latine. Il n’y a pas eu d’extermination d’une culture par une autre, mais assimilation progressive. Aujourd’hui, les remparts, qu’on le regrette ou non, ont disparu côté terre. Le soleil, la mer, le climat, la beauté du paysage séduisent et attirent ; beaucoup de gens arrivent de tous les endroits du monde soit pour visiter ce lieu magique soit pour s’y installer. L’évolution de la population antiboise est là pour nous rappeler l’attrait de cette ville dont, vieux habitués de l’endroit, nous ne percevons peut-être plus tous les charmes. Mais cela a un travers : l'apport de cultures diverses et de façon massive, entraine la disparition du vieux fond culturel hérité des anciens, ce qui peut être parfois mal vécu.

Devant la mondialisation en marche, qui peut apporter des bienfaits mais qui est également une machine à broyer les identités, il apparait de plus en plus nécessaire de garder intact le caractère de notre cité, son originalité, sa personnalité, et mettre en exergue son histoire pour que son identité perdure au travers des siècles afin d’attirer toujours plus de membre de cette phalange fortunée dont parle Louis Gallet qui écrivit : 

Les vrais sages voudraient planter ici leur tente,
De même ceux dont l’âme ou le cœur a souffert,
Et sous tes cieux creusés en coupole éclatante
Goûter le gai repos incessamment offert.

L'exode

En 545 av. J.-C., les Perses investirent la cité grecque de Phocée, obligeant les habitants à l’exode. Ceux-ci prirent alors la route de l’ouest qu’ils connaissaient bien, et allèrent s’installer à Alalia où ils restèrent cinq ans. Ils reprirent alors progressivement leurs habitudes commerciales et notamment la piraterie. L’irruption de ces commerçants doués et sans scrupules, possédant une flotte puissante déplut fortement aux Étrusques et aux Carthaginois qui se partageaient alors le commerce en Méditerranée occidentale. 

Cette guerre commerciale enfla jusqu’à déboucher sur une véritable guerre qui aboutit à la bataille d’Alalia qui eut lieu vers 536 avant notre ère en mer de Sardaigne.

Les Phocéens opposèrent 60 navires à la flotte étrusco-carthaginoise constituée également d’une soixantaine de navires. Les Phocéens en sortirent vainqueur, mais ce fut ce qu’Hérodote appela une "victoriam cadmaeam"*, c’est-à-dire une victoire équivalent à une défaite car les Phocéens y perdirent 40 vaisseaux et les 20 autres furent lourdement endommagés. Sentant qu’ils ne pourraient se maintenir longtemps car les Étrusques et Carthaginois constituaient des nations puissantes, une partie des habitants d’Alalia allèrent demander asile aux Massaliotes pendant que l’autre partie rejoignait la côte italique où ils fondèrent la ville d’Elea (devenu Velia par la suite).
Phocée ayant été envahie par les Perses, Massalia obtint alors le statut de métropole. Les Phocéens de Massalia installèrent de nouveaux comptoirs et développèrent alors les installations existantes tout le long de la côte méditerranéenne occidentale, depuis Maînaké (Malaga), jusqu’à Antipolis (Antibes) dite la dernière (Description donnée par un géographe grec dit Pseudo-Scymnos, dans un texte, Périégèse, écrit au IIe siècle av. J.-C.)

Par référence à Cadmus, fils d’Agenor et fondateur de Thèbes qui tua le dragon qui gardait une source consacrée  à Arès. Il dut payer cette victoire sur le dragon par huit années de servitude.