Antibes historique
Ce monument se trouve enchâssé dans le mur accompagnant le virage à la jonction entre la route de Grasse et le chemin des Âmes-du-Purgatoire. Il se situe sur les lieux mêmes d’un fait d’armes, survenu en 1536, au cours de la 3e guerre entre François Ier et Charles Quint.
Le sacrifice des soldats d’Antibes
L’affaire se situe peu après la mort en 1535 du duc de Milan Francesco II Sforza qui réveilla les appétits de conquête de François Ier (1494-1547). Celui-ci réclama l’héritage du duché de Milan. Voulant s’ouvrir un passage vers la Lombardie, le souverain français envoya une armée occuper la Savoie et le Piémont. Le duc de Savoie, Charles III n’eut d’autre solution que de fuir, et alla se réfugier à Nice. François Ier voulut alors prendre le contrôle de l’axe routier et maritime allant de Marseille à Gènes. La seule solution pour lui était d’occuper le comté de Nice. Charles Quint, alors allié du duc de Savoie, ne pouvait en supporter plus. Il leva une armée de 100 000 hommes et mit le siège devant Marseille. Mis en échec, il se retourna vers Nice où il laissa pendant un an, une garnison de 2 000 soldats espagnols afin de décourager toute velléité d’agression de la part du roi de France.
C’est à ce moment-là que se situe l’épisode antibois. A l’annonce de l’invasion imminente de la Provence par les troupes de Charles-Quint, la ville se mit en état de défense. On plaça des gardes en permanence à la porte du Révely et à la porte de l’Orme. On fit des réserves de vivres. On mit à l’abri les archives de la ville, la grande croix et le buste en argent de Saint Sébastien. Le 17 juin on fit fermer les portes. Début juillet, la tension monta encore quand on apprit que Don Fernand de Gonzague s’approchait de la ville à la tête de 3.000 cavaliers et 101 pièces d’artillerie, accompagné par 10.000 fantassins Espagnols et 1.500 Italiens ; 4.000 allemands constituant l’avant-garde.
Mi-juillet, cinq galères commandées par Andréa Doria se présentèrent devant la ville. Deux bombardes firent feu et coulèrent deux galères. Malgré cet exploit, la ville fut prise d’assaut le 17 juillet 1536 et est mise au pillage. Profitant de la confusion, Gaspard de Grimaldi réussit à sortir de la ville avec sa troupe et prit la direction de Grasse. C’est à ce moment que se situe un épisode qui marquera l’histoire antiboise.
Bien que les faits exacts soient controversés, on sait qu’une bande d’une trentaine de légionnaires provençaux commandés par Raphaël Roux de Cormis, gouverneur de Saint-Paul de Vence depuis 1525, colonel des légionnaires de Provence, âgé au moment des faits de quatre-vingt-deux ans, issu de l’illustre famille des seigneurs de Courmes , s’attaqua à une colonne de soldats à pieds espagnols. Malgré leur courage, ils furent mis en déroute par les arquebuses espagnoles (18 juillet 1536). Roux de Cormis mourut dans cet engagement, les armes à la main selon la légende, en refusant de se rendre. Un an plus tard, le 18 juin 1537, une trêve fut signée à Nice, sous l’égide du pape Paul III ancien évêque de Vence (1508), entre François 1er et Charles Quint. Elle dura cinq ans.
Cette histoire fait partie du patrimoine antibois, mais l’honnêteté nous oblige à dire que l’héroïsme de Raphaël Roux de Cormis est sujet à caution. Dans le Dictionnaire de la Provence et du Comté-Venaissin, l’auteur, Claude-François Achard, rapporte que Pierre-Joseph de Haitze « assure que ce combat fut aussi chimérique que la bravoure de Raphaël de Cormis ». Il accuse même un de ses descendants, Louis de Cormis, d’avoir, sous le nom d’emprunt de Pierre d’Hozier, falsifié de nombreux documents pour avaliser cette légende et donner à leur famille une grandeur usurpée.
A l’appui de cette thèse, on peut ajouter que la base des Chevaliers des Ordres Royaux mentionne en ce qui concerne Raphaël de Cormis : « Dit le capitaine Bouvet, colonel de 6000 légionnaires ; mort en 1536. Gentilhomme décoré de l’ordre de Saint Michel, sans garantie (faute de témoignage ». Il faut préciser également que les campagnes auxquelles aurait héroïquement participé Raphaël de Cormis ont été rapportées par son fils Pierre. On le voit ainsi commencer à guerroyer en 1470, participer à dix batailles rangées, à cent petits combats, à cinquante sièges. Fait étonnant, à 77 ans, il est nommé à la tête de 2.000 légionnaires provençaux, se retrouve à Fossano, se replie sur la Provence où il est chargé de harceler les ennemis, sauva Vence et Saint-Paul, puis se précipita vers Antibes où il attaqua les Espagnols et mourut l’épée à la main. Quelle énergie pour cet homme de 82 (ou 84 ans, l’âge est incertain) vivant au XVIe siècle !
Ce monument fut donc élevé à la mémoire de ces soldats et de leur chef par le comte de Tende. On dit qu’ils furent enterrés à cet endroit. Le monument fut abattu par les Huguenots en 1560, car, refusant l’existence d’un Purgatoire, ils y voyaient des signes trop ostentatoires de la foi catholique. Il fut relevé en 1702, ce qui explique la date inscrite sur le monument.
Il mesure 2,75 m de haut. Sur le toit, est plantée une simple croix de fer qui a été installée récemment (absente sur la photo d’avant-guerre). Sa partie supérieure est constituée par une niche profonde de 40 cm, protégée par une grille ouvragée, destinée à abriter un objet religieux. En dessous, est placée une plaque de marbre divisée en deux. Sur la partie supérieure se trouve une inscription : « Pries Dieu pour les Âmes du Purgatoire, et elles prieront pour vous. » La partie inférieure comporte une tête de mort surmontant deux tibias avec une banderole et, de chaque côté, quatre larmes flamboyantes. Tout en bas, le nom de « Nicolas » avec, à côté, un nom qui a été martelé et en dessous, la date 1702. Plus en dessous a été placé dans les années 60 un ancien mortier en pierre destiné à recevoir des fleurs.
Le monument en 1938. Photo Biondo.
Le monument aujourd'hui.
La plaque de marbre.
Armes de la famille de Cormis.
La partie martelée.